Une crise sanitaire encore plus forte pour les plus faibles

Interview de Bobette Matulonga

20 avril 2020

Les Ehpad sont particulièrement touchés par l'épidémie de Covid-19. Quelle est la situation de ces établissements en Île-de-France ?

Les chiffres exacts de la situation dans les Ehpad sont en cours de consolidation en Île-de-France comme dans le reste du pays, mais on estime qu’en Île-de-France c’est un décès sur quatre qui serait survenu dans ces établissements. Dès le début de l’épidémie, les moyens de l’État ont été rapidement orientés vers la préparation des établissements hospitaliers. Cependant, la situation des personnes âgées, notamment en Ehpad, en maison de retraite ou à domicile devrait également faire objet d’une attention particulière en raison de la vulnérabilité des seniors au coronavirus (plus de 65 % des personnes hospitalisées en réanimation et près de deux décès sur trois concernent les personnes âgées). L’absence de système d’information spécifique préexistant à la pandémie sur les décès en Ehpad a retardé la prise de conscience de la gravité de l’épidémie dans le secteur socio-sanitaire, et particulièrement dans les Ehpad.
L’organisation de la prise en charge dans les Ehpad a alors été repensée afin de faire face au Covid-19. Dans chaque établissement, un référent Covid a été désigné, un secteur du bâtiment a été réservé aux personnes positives au coronavirus, et des isolements en chambre pour les résidents dans certaines structures ont été organisés pour  les cas confirmés. Jusqu’ici, pour la doctrine diagnostic, le dépistage systématique des premiers cas suspects est obligatoire. On a assisté à de nombreuses innovations de fonctionnement comme au développement de la télécommunication par visioconférence, le confinement complet soignants soignés dans certains Ehpad, etc.
Cependant, la gestion de l’épidémie du coronavirus en Ehpad est d’une très grande complexité en raison des mesures de distanciation sociale absolument nécessaires pour limiter la diffusion du virus. En effet, en absence de traitement et de vaccin, l’idéal serait de confiner les résidents dans leur chambre, notamment dès qu’un cas est suspecté ou déclaré dans un établissement. Cependant, un isolement strict est une situation particulièrement difficile à vivre pour les personnes âgées. Les responsables des établissements pour personnes âgées sont constamment départagés dans la gestion du bénéfice/risque des telles mesures. En raison de leur grande fragilité (présence de comorbidités, mesures barrières difficiles à respecter en raison de la santé mentale de certains résidents, etc.), on a envie de leur éviter le moindre risque de contracter le virus. Néanmoins, un tel isolement pour des personnes qui ne sont toujours pas familiers aux nouvelles technologies de communication et qui ne comprennent pas toujours pourquoi on leur inflige de telles mesures, est particulièrement difficile à vivre.
Plus encore, dans l’optique d’un déconfinement progressif, les Ehpad devront continuer à être préservés. Il faudra dans ce cas mettre en place une politique de dépistage massif qui permettrait de maintenir le confinement qu’en fonction du statut sérologique des résidents. Cette stratégie devrait s’appliquer aussi aux personnes âgées vivant seules.

Dans les lieux sensibles tels que les centres pénitenciers, les camps de migrants, les centres d'accueil, comment est géré le confinement ?

En raison de leur état de santé fragile entraînant une plus forte probabilité de contracter le Covid-19 et de leur accès réduit aux soins, limitant leur prise en charge le cas échant, les personnes vivant dans les hébergements d’urgence ou sans domicile doivent bénéficier de mesures spécifiques. Les acteurs du système de santé ont été mobilisés par l’ARS afin de renforcer la détection et la prise en charge des patients très démunis, sans-abri (occupants de bidonvilles, campements de rue, lieux d’hébergement d’urgence). L’ARS a mis en place des dispositifs particuliers de prise en charge et de gestion de confinement. Pour les personnes en hébergement d’urgence et les SDF, l’ARS, en collaboration avec le préfet d’Île-de-France et le Conseil régional, a mis en place des équipes mobiles composées d’un médecin et d’une infirmière qui se rendent sur les lieux d’hébergement pour examiner les personnes présentant des symptômes évocateurs du Covid-19 et pour réaliser des prélèvements de diagnostic qui sont envoyés au laboratoire de référence pour la recherche du virus. Une fois le résident examiné, si les conditions de logement ne permettent pas un confinement optimal sur le site et si l’état clinique du patient ne nécessite pas une hospitalisation, le patient est transféré dans un centre dit « centre SAS Covid » où il bénéficie d’un logement décent avec des conditions permettant un bon confinement et où un médecin et une infirmière assurent une permanence. C’est l’équipe mobile, en lien avec l’ARS, qui organise le transport et le transfert. Le laboratoire rend le résultat du diagnostic directement au médecin de l’équipe mobile, qui, dans le cas d’un résultat positif, oriente le patient vers un centre dit « centre Covid+ » pour poursuivre son confinement pendant 14 jours. Si le résultat est négatif, le patient retourne dans son centre d’hébergement initial. L’ARS a aussi renforcé les maraudes sociales existantes, notamment auprès des personnes SDF.

Dans le milieu carcéral francilien, c’est une toute autre organisation. Le surpeuplement des prisons est le plus grand problème dans la gestion du confinement et de la distanciation sociale. Le milieu carcéral est particulièrement concerné par le risque d’une diffusion massive de l’épidémie en raison des taux d’occupation qui surpassent largement les 110 % et des conditions de vie défavorables, notamment dans les maisons d’arrêt. Certaines mesures, comme l’aménagement de peine, ont été prises pour faire de la place en prison. Mais ce n’est actuellement pas suffisant. La question du surpeuplement de nos prisons devrait être réglée au-delà de l’actuelle crise sanitaire qui a permis de mettre en évidence le danger d’une telle promiscuité. À ce jour, la gestion de la crise sanitaire en prison est plus ou moins bonne. Les établissements pénitentiaires franciliens, avec ses 11 000 détenus, résistent à la pénétration du virus avec, aux dernières informations, 60 cas suspects chez les détenus. Les capacités sanitaires de prise en charge n’ont pas encore atteint leur limite (contrairement à l’hospitalisation classique) avec 18 cas confirmés de Covid-19 seulement. Cependant, la suppression des parloirs et l’impossibilité de voir leurs proches sont tout aussi difficiles et peuvent entraîner l’exacerbation des violences et des comportements agressifs chez les prisonniers. L’organisation de soins en prison est faite avec les unités sanitaires carcérales qui font de la prévention et de la surveillance, mettent en quarantaine les nouveaux arrivants, isolent les cas de Covid et les cas contacts et les affectent dans des quartiers de confinement (400 places en Île-de-France). En cas de besoin d'hospitalisation, si la situation des malades atteints de Covid s'aggrave, ils sont dirigés sur l'Établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF) qui a une capacité de 75 lits et bénéficient de l’appui de l’AP-HP.

Au-delà d'être une crise sanitaire et économique, cette épidémie est aussi une crise sociale pour les personnes les plus démunies. Comment traversent-elles cette triple épreuve ?

Les populations les plus pauvres sont très probablement davantage à risque d’être exposées au Covid-19 et pourraient payer le plus lourd tribut de cette pandémie. La première raison est que les mesures barrières ne peuvent être respectées de la même manière suivant les classes sociales. Les inégalités sociales de logement sont la cause de la surcontamination et peuvent en partie expliquer la surmortalité observée chez les personnes les plus précaires. Les contaminations intrafamiliales sont probablement plus nombreuses quand on vit dans un petit appartement où c’est difficile d’isoler un malade. C’est également le cas pour les occupants d’un logement indécent, et la situation est encore pire pour les personnes qui n’ont pas du tout de logement. Certaines comorbidités qui sont des facteurs de risque du Covid-19 sont également plus fréquentes chez les personnes en grande précarité, comme l’obésité, le diabète, etc. Autre fait marquant, le confinement abolit de facto la mendicité, seule source de revenus pour certaines personnes extrêmement démunies. Le confinement accentue alors les fractures sociales et l’isolement des plus précaires. On constate également que le confinement isole plus que jamais les personnes ne disposant pas de moyens modernes de communication tels qu’un smartphone, un équipement informatique avec l’accès à internet, etc. Plus encore, c’est parmi la population active la plus pauvre que se trouve un grand nombre de travailleurs clés susceptibles d’être en contact direct avec le public. Ils sont ainsi exposés à un risque accru de contamination (caissières, vigiles, aides à la personne, personnes en charge du ramassage et traitements des déchets, etc.).
Enfin, La crise économique et sociale qui survivra à l’épidémie sera tout aussi préoccupante que la crise sanitaire pour les populations les plus démunies.

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Dr Bobette Matulonga est médecin généraliste, docteur en épidémiologie de l’université Paris-Sud. Elle a une expérience clinique de plus de cinq ans, notamment en Afrique, et a été en première ligne dans la prise en charge lors des épidémies telles que celle du choléra et de la maladie à virus Ebola. Elle a effectué ses travaux de thèse et son post-doctorat à l’Inserm à Paris avant de rejoindre le groupe pharmaceutique GSK à Wavre (Belgique). Elle fait partie du pool d’épidémiologistes de Médecins sans frontières de Genève (Suisse) et enseigne l’épidémiologie dans les établissements universitaires congolais. Elle est, à ce jour, médecin épidémiologiste à l’Observatoire régional de santé d'Île-de-France (département de L'Institut Paris Region) où elle gère notamment les projets en rapport avec la santé des mères et enfants en rapport avec les disparités sociales et territoriales de santé. Elle fait actuellement partie des équipes mobiles de l’ARS Île-de-France en renfort dans la lutte contre le Covid-19 chez les personnes en grande précarité.

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Pathologies | Covid-19