Santé et biodiversité

Analyse des enjeux pour une approche intégrée en Île-de-France

08 février 2023

Souvent invoquée, l’association entre santé et biodiversité n’a rien d’évident, même si, depuis la crise sanitaire et l’accélération du changement climatique, nul ne peut nier leurs relations. On parle même d’une seule santé, celle qui relie la santé humaine, la santé animale et le fonctionnement des écosystèmes : une injonction à dépasser une gestion des politiques publiques en « silo » dans laquelle les interactions entre les différents secteurs professionnels sont faibles et les manières d’envisager le principe sont différentes selon le domaine d’activité.

Ce rapport entend explorer les enjeux principaux liés au double défi de préserver la biodiversité et promouvoir la santé. Outre le déchiffrage des interactions, nous suggérons, à partir de retour d’expérience de territoires, des méthodes et des pistes d’actions dans le but de décliner des politiques publiques et autres projets locaux respectueux du vivant et promoteurs de la santé.

La biodiversité – complexe, fragile et en constante dynamique – se définit comme le tissu vivant de notre planète caractérisé par une extrême variabilité d’organismes et d’écosystèmes. Elle renvoie à une diversité génétique (au sein d’une même espèce, y compris l’espèce humaine), une diversité d’espèces (à l’échelle d’un milieu de vie) et une diversité des milieux de vie ou écosystèmes, les trois étant intimement liées. Quant à nos sociétés, elles sont largement tributaires de la biodiversité, même s’il existe aujourd’hui un consensus scientifique sur la responsabilité de l’espèce humaine vis-à-vis de l’érosion du reste du vivant. Ce déclin s’explique par une pluralité de facteurs : les changements d’usage des terres et de la mer au profit de l’agriculture et du développement d’infrastructures urbaines, la surexploitation des ressources et la pollution des milieux, l’implantation d’espèces exotiques, des phénomènes associés et renforcés par le changement climatique. Aussi, les problématiques posées par les interactions entre santé humaine et biodiversité sont au cœur des politiques d’adaptation au changement climatique.

Une approche par les risques sanitaires

La pandémie de Covid-19 nous rappelle que certains éléments de la biodiversité présentent des risques sanitaires pour l’homme. Comment mieux les comprendre pour mieux les appréhender ?

Qu’ils soient infectieux, allergènes ou toxiques, les risques sont associés à trois variables. Le premier, l’aléa microbiologique, renvoie à la présence d’un organisme constituant un danger potentiel par ses effets. Le deuxième, la vulnérabilité des populations et des individus, traduit la propension ou la prédisposition à être affecté défavorablement selon sa sensibilité, sa capacité à faire face et ses capacités adaptatives. La troisième variable, l’exposition au risque (individuelle ou communautaire) fait référence au contact avec le danger.

La faune sauvage joue un rôle majeur dans l’émergence des maladies infectieuses. La crise de la Covid-19 montre que les risques sont modulés par les modalités d’interactions entre la faune sauvage et l’espèce humaine, et la propagation de l’épidémie est accélérée par l’intensité des flux de population. Quant au risque sanitaire, il s’accroit en fonction de la sensibilité et de la capacité à faire face des individus ; en témoignent les études montrant que les populations les plus pauvres et celles atteintes de comorbidité seraient davantage à risque de développer des formes graves.

De manière générale, la perception du risque influe sur le degré d’anticipation d’où l’absolue nécessité de documenter les risques pour accompagner les politiques publiques. L’action publique en la matière se décline en trois volets : la prévention, la surveillance et la gestion.

Pour illustration, désormais durablement implantés en Île-de-France à différents degrés, le moustique tigre, vecteur de pathogènes tout comme les tiques pour certaines vectrices de la maladie de Lyme, font l’objet de suivi. S’agissant des maladies allergiques, plus de 20% de la population est concerné par des allergies au pollen et 9% par l’asthme. Les pollinoses, par leur fréquence et leurs effets induits sur la santé, sont un enjeu significatif de santé publique.

 

Une approche par les bénéfices sanitaires

La mise en œuvre des politiques santé environnementale a souvent été abordée sous l’angle de la réduction des facteurs de risques environnementaux, notamment physiques (pollution atmosphérique, bruit, îlots de chaleur urbains, etc.). Or, la biodiversité, lorsqu’elle est associée à des écosystèmes fonctionnels et par les « services écologiques » qu’elle rend, pourrait participer d’une démarche de prévention et promotion de la santé. A l’échelle globale, l’hypothèse selon laquelle le maintien de communautés biologiques présentant une diversité spécifique élevée permettrait, grâce à un « effet de dilution » d’éviter l’émergence de pathogènes majeurs susceptibles d’être à l’origine de zoonoses fait encore largement débat dans la sphère scientifique. Pour autant, à l’échelle plus locale, de nombreuses études attestent des bénéfices apportés par les écosystèmes sur la santé mentale et physique, notamment en matière de « nature en ville ».

 

Cependant, force est de constater que verdir n’est pas synonyme de renaturer et que les bénéfices des espaces à caractère naturel ne peuvent être associés uniquement au développement de son offre. Les bienfaits des espaces végétalisés sur la biodiversité et la santé dépendent également de la qualité écologique des milieux ou encore de la fréquentation de ces espaces.

L’impact de la végétation sur la réduction des nuisances environnementales telles que les vagues de chaleur, la pollution atmosphérique ou encore le bruit, n’est pas homogène et la renaturation ne peut se substituer à des actions de réduction à la source des polluants. Elle est en réalité complémentaire. L’efficacité des solutions de renaturation requiert une réflexion autour du choix des essences, du type de végétalisation, de leur emplacement géographique et de la surface du couvert végétalisé considéré ou encore de la disponibilité de l’eau. Outre les services de régulation apportés par les écosystèmes, il existe une littérature scientifique prolifique sur les bénéfices directs des espaces à caractère naturel en lien avec la stimulation de l’activité physique et la relation positive au « bien-être » au travers de bienfaits psychologiques, cognitifs et sociaux. Toutefois, tous les espaces verts ne constituent pas des lieux propices à la pratique d’activités qui dépend notamment de caractéristiques telles que leur accessibilité, leur surface, la sécurité des sentiers de marche, leur environnement sûr, l’ambiance paysagère, le soin apporté à leur entretien et les installations et équipements disponibles. Des réflexions sont à mener localement en croisant les expertises afin de préserver la biodiversité tout en garantissant l’accessibilité des populations les plus éloignées de la nature à ces espaces.

 

Dans ce rapport, nous avons souhaité nous arrêter sur deux enjeux autour desquels l’action publique relative à la santé humaine et la protection de la biodiversité ont tout intérêt à trouver des réponses communes : la production agricole et l’impact des pratiques de soin sur les écosystèmes.

La transition agroécologique ou comment mettre autour de la table les acteurs du territoire

L’Île-de-France est caractérisée par une agriculture céréalière largement prédominante, de grandes parcelles, peu d’élevage et de haies, et un usage important de pesticides. Ces pratiques intensives ont contribué au déclin de nombreuses espèces spécialistes des milieux agricoles. Les solutions agroécologiques constituent des réponses concrètes pour reconquérir la biodiversité tout en améliorant la santé des agriculteurs et du consommateur. Cependant, à travers les systèmes agricoles, se cristallise l’enjeu d’un équilibre à trouver entre deux défis : maintenir la sécurité alimentaire et assurer une durabilité environnementale socialement acceptable des pratiques, c’est-à-dire favoriser l’accessibilité d’un régime alimentaire de qualité pour tous.

L’impact écologique du système de soins, un argument supplémentaire pour développer la prévention

La présence de micropolluants - tels que les résidus de médicaments, produits détergents, et biocides - dans différents milieux (eaux et sols) constitue une source de pollutions préoccupante pour les écosystèmes et de manière indirecte pour les êtres humains (cf la figure). En effet, la réduction des concentrations mesurées à l’entrée et à la sortie des stations de traitement des eaux usées n’est jamais totale. Le système de soins, à travers son usage important de produits biocides largement utilisés en médecine humaine et vétérinaire, contribue à la contamination des milieux. Les sources de contamination sont diverses. Il s’agit de rejets issus des établissements de santé, des industries, et domestiques. La contribution significative de l’effluent urbain s’explique par les soins ambulatoires, la prise de médicaments et une mauvaise élimination des médicaments non utilisés (dans l’évier ou les toilettes) ainsi que par la (sur)consommation des produits détergents et désinfectants. La caractérisation des impacts écologiques et sanitaires est complexe et trop peu connue. Les stratégies de maitrise des rejets passent par une combinaison de ces leviers, en fonction des objectifs que se fixe un territoire au regard, entre autres, des risques et coûts : réduction à la source des usages et traitements grâce à la mobilisation des acteurs de santé à la fois en médecine vétérinaire et humaine, amélioration du traitement des eaux usées et déchets organiques, et gestion des milieux pour réduire les concentrations.

Quatre axes pour associer biodiversité et santé dans les politiques publiques

Outre le décryptage de l’imbrication des enjeux mêlant préservation de la biodiversité et de la santé, le rapport propose quelques recommandations pour apporter des réponses concrètes à l’échelle locale au mot d’ordre « une seule santé ». L’objectif est d’accompagner l’action publique locale francilienne afin de faire converger les politiques publiques d’aménagement du territoire, de préservation de la biodiversité, et de promotion de la santé en s’appuyant sur des retours d’expériences territoriales. Nos préconisations, sous forme de fiches-pratiques, s’articulent autour de quatre axes :

  • Le décloisonnement des politiques publiques à l’échelle du territoire pour sortir de l’approche hygiéniste en favorisant les remontées du terrain. Cela passe par une approche transversale des stratégies et des actions à partir de dispositifs existants ainsi qu’en s’engageant dans des démarches progressives inscrites sur le long terme
  • L’association des collectivités afin de mettre en œuvre des politiques publiques adaptées, cohérentes impliquant de nouveaux acteurs dans la décision
  • L’amélioration des connaissances favorisant la compréhension éclairée des risques potentiels grâce au déploiement de la recherche pluridisciplinaire au cœur des territoires et un soutien à l’ingénierie territoriale
  • L’appropriation et l’acculturation des acteurs aux enjeux relatifs à la santé et à la préservation de la biodiversité par le biais de la sensibilisation, la formation, le dialogue et l’accompagnement par des structures ressources.

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